jeudi 24 février 2011

La révolution des oeillades


Inès m'était apparue dans un bus qui reliait le petit village d'Houmt Souk.

Eté 1992. Je revenais de la côte sud où j'avais retrouvé Pierre un ami qui travaillait pour la saison dans un hôtel français.
Fatigué d'avoir fait subir à mon corps sec d'adolescent la pression barométrique sous marine, je me tenais debout et m'évertuais à épouser les sursauts métalliques du bus.

Une fatigue en forme de dôme, sphérique et enveloppante.

La jeune femme se tenait là le profil iconographique des égyptiens. Le bras tendu sur la rambarde du bus afin de rester en équilibre. Un regard furtif.

De la chaleur et de la poussière.

Sa casquette laissait dépasser une queue de cheval aux cheveux couleur de jais. Un jean, un tee shirt léger; un respect des traditions et une touche de modernité.

Un regard soutenu, puis un sourire se dessine sur son visage.

Quelques arrêts sur le chemin caillouteux puis la belle s'échappe. Elle s'éloigne de la gare centrale et ne se retourne pas.

Une touche de modernité.

Le soir même, Ahmed m'appelle et me passe le combiné:
- Bonsoir nous nous sommes rencontrés cet après- midi dans le bus. Peut- on se voir ce soir? Je m'appelle Inès.

Cet été- là, je me suis évadé à Tunis avec Inès en car express. Ensemble, nous avons marché dans la Médina et sur l'avenue Bourguiba; nous admirions l'architecture andalo- arabe. Mais là n'était pas l'essentiel: j'aimais parler en marchant et regarder ses yeux assombris de khôl. 
Je me souviens. Nous sommes allés au cinéma.
Elle s'était couvert les yeux devant ces corps nus autour d'une piscine. Après à peine cinq minutes, je l'ai raccompagnée à l'extérieur comme une aveugle; nous en avons ri: un cinéma à Tunis spécialisé dans les films érotiques!

Je passais mes après- midi à me promener dans le souk. Je m'étais lié d'amitié à un ancien boxeur professionnel qui avait vécu en France.
Vue sur les toits et quelques photographies plus loin, je retrouvais Inès chaque fin d'après- midi à l'arrêt de métro Barcelona pour y boire du thé à la menthe.
Quinze jours à Tunis.
"On n'embrasse pas en public", m'avait- elle dit sourire aux lèvres. Je me souviens lui avoir volé un baiser sur une place ombragée parmi la foule. Je ne retins que son sourire. Je n'avais pas envie de me cacher. Elle non plus m'avoua- t-elle plus tard.

Cet été- là, j'ai connu ma révolution des oeillades.

Dans le corps d'Inès vivait l'énergie du désert et la chaleur de midi.

Je me souviendrai toujours de la douceur de ses lèvres humides et de ce premier regard libre de désirs.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire