"Comme d'autres pactes de bonne conduite, la trêve d'avant l'aube ne dure qu'un temps: celui de l'obscurité, qui rabaisse la prétention des arrogants. Tout se passe comme si le soleil était responsable de la disparition quotidienne de toute retenue dans le monde. Quoiqu'il en soit, à l'heure où les brumes matinales s'allongent en traînées blanches sur la plaine, le moindre coq braille déjà ad libitum, et chaque épi de maïs fait semblant d'être deux fois plus gros que tous les épis de maïs qui l'ont précédé sur terre (...), tandis qu'un faisan mâle, songeant peut- être à ses galants vagabondages de jadis, joue des ailes et fait savoir à tous, d'une voix rauque, que ce marais est à lui ainsi que toutes les femelles qui l'habitent.
Ces illusions de grandeur ne sont pas réservées aux oiseaux et aux bêtes. Dès le petit déjeuner, on profite des cris, klaxons, vrombissements et coups de sifflets de la ferme voisine qui s'éveille, cédant la place, vers le soir, au grésillement d'une radio abandonnée. Après quoi tout le monde va se coucher pour réapprendre les leçons de la nuit."
Almanach d'un comté des sables, Aldo Léopold
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